Le 3 novembre dernier s’est tenu
à Montréal une rencontre réunissant chercheurs et praticiens autour d’un sujet
bien particulier, celui du «bien commun». L’événement «À l’école des communs», auquel participaient notamment Michel Bauwens et Lionel Maurel, a été organisé par Communautique, Remix biens communs et la
Chaire Nycole Turmel.
Mais pourquoi parler de biens
communs en 2012? La notion de «bien commun» n’est pourtant pas
nouvelle! C’est que le bien commun se trouve au coeur d’une nouvelle économie
en émergence, qui fait tranquillement sont chemin à l’intérieur même de
l’économie mondiale de marchés. Dans l’optique de cette nouvelle mouvance, un
«bien commun» est une ressource gérée par une communauté
démocratiquement constituée et utilisée de manière à la rendre accessible à
tous dans l’intérêt actuel et futur de la communauté.
L’émergence de cette économie des
biens communs s’inscrit dans la montée d’un mouvement social à l’échelle
mondiale et apparaît de plus en plus clairement dans nos radars.
Les sources d’un tel mouvement
sont multiples et se rassemblent autour de plusieurs intentions, dont le rejet
de l’économie mondiale de marchés, les limites de la société de consommation,
la prise de conscience environnementale sur la capacité de la planète à
supporter l’exploitation des ressources par les humains. La crise financière
mondiale de 2008 constitue un événement important qui a engendré plusieurs
conséquences, notamment sur l’économie des États-Unis et de celle de plusieurs
pays européens. Elle a aussi entraîné une vague de protestations, dont le
mouvement Occupy et le mouvement des indignés. Au Québec, les événements du
Printemps québécois ont rassemblé plusieurs causes autour d’un vaste mouvement
citoyen.
Face à cette économie de marchés
qui crée artificiellement de la rareté tout en donnant l’impression que la
croissance économique est possible à l’infini, le rejet de la logique
économique actuelle se fait entendre sur toutes les tribunes. Les citoyens
rappellent que ce système ne peut continuer indéfiniment puisqu’il nous conduit
par sa logique intrinsèque à l’extinction éminente de l’humanité.
Mais, l’économie des biens
communs se construisait bien avant ces crises économiques, politiques et
sociales. Ce mouvement social se construit sur un ensemble des sous-cultures,
dont plusieurs associées au développement d’Internet. La création de biens
communs développés collectivement prend pour une bonne part sa source dans le
mouvement open source qui défend la liberté d'accéder aux codes
source des logiciels que les gens utilisent.
Quand on y regarde attentivement,
on constate que l’approche du contenu partagé se propage à toutes les sphères
de la production humaine, de sorte que la situation laisse entrevoir la
formation d’une économie des «communs» imbriquée dans l’économie de
marchés. Ce qui est le plus surprenant, c’est que non seulement elle s’étend à
une vitesse prodigieuse mais en plus, elle tend à donner des résultats
vertigineusement plus productifs que les anciennes approches de production de
valeur.
WikiSpeed |
À ce sujet, l’exemple de
WikiSpeed est impressionnant,
un projet de voiture open source développé avec l’objectif de
produire une voiture sport à faible consommation d'essence à un prix inférieur
à 20'000$. Un réseau de plus de 50 experts de plusieurs horizons ont développé
ensemble cette voiture dépassant la capacité de développement des compagnies
traditionnelles. La Wikispeed SGT01 dépasse tous les standards avec une
consommation de carburant de 2,26 L/100 km en ville et de 2,06 L/100 km sur
autoroute.
Alors que la prise en charge du
bien commun signifiait autrefois de gérer l’appropriation d’une ressource limitée
par un grand nombre de personnes, la question du bien commun entre aujourd’hui
dans une nouvelle ère. En effet, lorsqu’un plan, une approche, un code ou un
savoir-faire est offert librement sur la place publique, il s’ajoute aux autres
biens utilisables sans restriction, créant ainsi de l’abondance de ressources
disponibles. Mais plus encore, il est possible de créer de la valeur
additionnelle en utilisant un bien commun pour l’améliorer et le rendre
disponible à nouveau ouvertement.
Un autre exemple de
l’«économie des communs», celui-là dans le domaine de la production
de savoirs, l'association française Sésamath, qui
regroupe des professeurs de mathématique. Cette communauté développe des outils
pédagogiques en ligne et diffuse gratuitement des contenus sur Internet pour
soutenir les professeurs dans l'enseignement des mathématiques aux enfants.
Bien entendu, ces contenus engendrent un conflit avec l'économie traditionnelle
puisqu'elle concurrence directement les éditeurs de matériel scolaire.
Cette nouvelle économie fournit
des biens utilisables par tous, ce qui profite autant les citoyens que les
entreprises qui ont librement accès à ces biens. Mais, il s’agit certainement
d’un changement de paradigme car la logique des marchés pourrait perdre de sa
raison d’être à mesure que des biens communs entrent en concurrence avec des
biens de consommation payants. D’autant plus que les approches de développement
en données libres sont si performantes que plusieurs entreprises n’arriveraient
jamais à concurrencer ces projets.
Il y a place à l’enthousiasme car
l’accumulation de biens communs, qu’ils prennent la forme d’objets, de codes,
de données, d’information, tend à générer de l’abondance pour l’humanité. Et,
les approches de développement produisent de la valeur avec plus d’efficacité
que jamais dans l’histoire de l’humanité. C’est en cela que l’émergence de
l’économie des biens communs pourrait bien s’étendre et faire profiter
l’humanité, si nous arrivons à la faire évoluer judicieusement.